23 avril 2014

De quoi souffre le livre en Afrique francophone ?

Il est prétentieux de vouloir traiter du livre en Afrique francophone dans un seul article qui n’est ni plus ni moins qu’un billet de blog ! Parce que le livre peut être abordé sous différents aspects (création, édition, diffusion, médiation…). Parce que l’Afrique francophone est plurielle avec des réalités tant économiques, politiques que socioculturelles qui diffèrent d’un pays à un autre. Parce qu’un tel sujet mériterait de faire l’objet d’une thèse, d’un mémoire, d’une communication à un colloque et peut-être si l’on daigne y mettre le minimum de soin qu’il mérite, un article scientifique dans une revue. Cependant, je ne produirai pas ici un écrit fermé dans un carcan scientifique. Je me laisserai aller à la largesse d’un billet de blog qui apostrophe le passant, qui met les décibels au maximum de leur puissance, là où des gens rêvent ou dorment (à vous de choisir).

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En dépit de la pluralité de l’Afrique francophone et en faisant volontairement fi de quelques réussites en matière de livre, en réalité des exceptions, les problèmes que rencontre le livre en Afrique francophone semblent être les mêmes. Le développement du continent force à voir ces réalités par nous-mêmes, sans forcément attendre que des visionnaires extérieurs viennent nous illuminer. Aussi, il faudra de plus en plus se départir des phrases toutes faites, toutes dépassées du genre « il n’y a pas de livres africains en Afrique » ou encore « les jeunes ne lisent plus ». Essayons de voir le livre en Afrique francophone sous différents angles.

D’abord du point de vue de la création. Aujourd’hui même s’il est évident que des auteurs de la trempe de Sony Labou Tansi ou encore de Léopold Sédar Senghor existent peu en Afrique, il n’est pas moins vrai que les genres se renouvellent, notamment avec le vivier de jeunes auteurs talentueux qui s’essayent à l’écriture. De la bande dessinée au roman en passant par la poésie, le conte ou encore le théâtre, les œuvres sont souvent inspirées des réalités culturelles africaines. Les difficultés qui se posent à ces créateurs sont de se faire éditer, de bénéficier de la protection de leurs œuvres notamment par le droit d’auteur. De ce fait, peu d’auteurs en Afrique francophone vivent uniquement de leurs œuvres. Certes les acteurs de ce maillon bien que sous la protection « exorbitante » du droit de la propriété intellectuelle sont victimes de différents abus soit des éditeurs (mauvaise exécution du contrat d’édition), soit des consommateurs (piratage). Néanmoins, il me semble que les difficultés du livre en Afrique francophone ne se trouvent pas du point de vue de la création.

Ensuite, il faut voir le livre en Afrique francophone du point de vue des éditeurs. Et c’est là même le nœud de la question. Le reproche que les éditeurs peuvent essuyer régulièrement c’est de ne pas vraiment prendre des risques. Premièrement, dans certains pays africains, les éditeurs se comptent du bout des doigts. J’ai même envie de dire que les vrais éditeurs se comptent au bout des doigts. L’éternel débat revient sans doute sur qui est éditeur et qui ne l’est pas. Sans remettre en cause les théories classiques des industries culturelles en matière de livre, je pense qu’est éditeur, un entrepreneur qui met réellement en phase dans sa production la double nature symbolique/culturelle et économique du livre. Il prend un risque financier en initiant, en suscitant un projet d’édition ou en produisant un manuscrit qui lui a été soumis. Un éditeur n’est pas celui qui édite un ouvrage à compte d’auteurs. Dans ce cas, il n’est juste qu’un imprimeur. Alors, à voir le secteur de l’édition dans les pays francophones d’Afrique, ce sont en réalité des imprimeurs qui dominent.

Je ne surprends personne quand je pense que nos éditeurs n’ont pas les mêmes potentiels productifs que ceux des pays développés. Dans le potentiel productif, il faut voir la créativité, la main d’œuvre, les moyens financiers et les moyens techniques. La créativité est essentielle dans le contenu et la présentation des ouvrages. A nos éditeurs, si peu qu’ils soient, il manque de la créativité, même s’il faut reconnaître et saluer les efforts faits dans les éditions de la Fondation Zinsou  ou de Ruisseaux d’Afrique. Le problème de la main d’œuvre se pose aussi cruellement. Il concerne en premier lieu les compétences techniques nécessaires à la fabrication d’un ouvrage. Il faut doigter à ce niveau le problème de la formation et aussi l’effectif très réduit du personnel de nos maisons d’édition, ce qui ne permet pas des productions d’envergures. Quid des moyens financiers ? C’est aussi l’un des goulots d’étranglement de l’activité des éditeurs. Il leur est difficile d’avoir accès au crédit bancaire. Compte tenu du fait que la production a un coût relativement élevé, son financement peut vite s’avérer décourageant pour l’éditeur. Puis enfin un aspect non moins négligeable est la technologie de production. Alors que l’édition se repose principalement sur la reproduction d’un exemplaire unique, les moyens techniques deviennent un élément incontournable du maillon. Grâce à l’avancée technologique, on observe une révolution au niveau de la production, notamment dans les pays développés. Aujourd’hui, ces derniers sont parvenus à un mode de production que l’Afrique gagnerait à expérimenter. Il s’agit de l’impression à la demande. L’éditeur imprime tout juste le nombre d’exemplaires de l’ouvrage ayant fait l’objet d’une demande. Des éditeurs comme L’Harmattan (France) utilisent déjà ce modèle de production. Ses avantages sont multiples. D’abord, l’appareil d’impression a été conçu pour imprimer et relier des ouvrages en un temps court. Ce qui permet d’économiser en temps d’impression. Quand on sait que le problème majeur des éditeurs c’est l’espace de stockage des exemplaires, ce problème de même que celui de la mévente tend à disparaître puisque la production est déjà vendue à l’avance. Ces appareils performants ont un coût élevé et nécessitent du personnel spécialisé pour leur utilisation ; ce qui a mon avis n’est pas le problème.

Hormis l’édition, la distribution et la diffusion constituent l’un des problèmes majeurs du livre en Afrique francophone. Pour les éditeurs, il ne suffit pas seulement de produire, il faut aussi acheminer les productions vers les consommateurs réels et potentiels. A noter que la diffusion demande de grands moyens techniques pour manipuler des cartons de livres et une bonne stratégie pour atteindre le marché intérieur et extérieur. Dans ce sens, la messagerie de presse peut être une solution pour les éditeurs. Aussi, on ne saurait oublier les librairies classiques qui assurent l’essentiel de la commercialisation des livres dans ces pays. Entretemps, les librairies par terre se développent de plus en plus et semblent rencontrer une clientèle que les librairies classiques ne connaissent pas. Sans doute, leurs atouts sont la proximité avec le public et les meilleurs prix qu’ils proposent, menant ainsi une concurrence inédite aux librairies classiques déjà en nombre très limitées. Les pays francophones africains doivent désormais réfléchir à produire des ouvrages non à l’européenne, mais dans un système fluide qui facilite une coopération entre les différents acteurs de la chaîne de production en vue d’atteindre les consommateurs. Je passe aussi volontiers.

Du point de vue de la consommation. Même si ce n’est pas à ce niveau qu’il y a tout le problème, il y a certes beaucoup à dire. D’abord il faut voir que les valeurs de consommation des lecteurs sont mises à rude épreuve quand il s’agit de faire l’acquisition onéreuse d’un livre. Il est souvent dit qu’il n’est pas dans les habitudes africaines d’offrir ou de s’offrir des livres comme loisir. Cette réalité à ne surtout pas négliger, amène à interroger nos modèles économiques ainsi que les prix auxquels les ouvrages sont cédés au public. On retrouve aisément la conséquence des coûts élevés de production qui se répercutent de façon significative sur le prix final du livre. Et pourtant, il est encore possible de trouver un marché pour le livre en Afrique francophone parce que le public, moins scientifiquement étudié, semble être plus réceptif à des thématiques qui lui parlent. Loin de moi tout idéalisme.

Il y a des discours que je n’admets plus. Ces discours faciles à prononcer pour dire que « les jeunes ne lisent plus ». J’aime plaisanter en rétorquant vigoureusement, « le livre, c’est comme du miel. Mettez-en un aussi délicieux que le miel et vous verrez des enfants s’y attrouper comme des mouches ! ». Cette comparaison peut souffrir de légèreté, mais elle n’est pas démagogique. J’aime aussi qu’on précise en parlant de jeunes, la tranche d’âge dont il s’agit. Ce n’est pas à 20 ans qu’on donne à quelqu’un le goût de la lecture. C’est, me semble-il, depuis ses premiers mots de bébé.

Plus en profondeur, je dirai qu’il y a une recette qu’il faut expérimenter un peu partout dans les pays francophones d’Afrique y compris ceux sortis des conflits. Une bibliothèque de 100 m² de superficie au minimum. Équipée de livres mêmes si pas neufs, mais en très bon état tout de même. Un espace agréable de lecture, bien éclairé et bien aéré. Entrée libre et gratuite. Le tout dans un quartier populaire ou à côté des écoles. Très accessible même en période de pluie. Entretenu au quotidien avec un personnel professionnel, dynamique et très accueillant. Un minimum d’animation comme des classes animées. Des visites de sensibilisation dans les écoles par moment. Résultats, les fréquentations explosent. Les lecteurs y trouvent un centre d’intérêt. Nécessité de penser à une autre bibliothèque pour pourvoir un autre quartier. Au Bénin, la Fondation Zinsou fait l’expérience de ce type de bibliothèque avec son projet de Mini-Bibliothèque.

 Je pense fortement que la conception classique des bibliothèques de type départemental ou communal n’est plus très adaptée au contexte africain francophone d’aujourd’hui. Il urge de mettre en place de petites structures faciles d’accès, faciles à entretenir et utilisant leur proximité avec les utilisateurs réels et potentiels comme des atouts majeurs.

Enfin, à ces différents aspects, il faudra ajouter la volonté politique qui fait cruellement défaut. En la matière, plusieurs sont ces pays d’Afrique francophone qui ne possèdent pas un document de politique nationale du livre et de la lecture. C’est d’ailleurs pour aider à l’élaboration de ce document cadre que les Directeurs nationaux du livre des pays membres de l’Uemoa ont tenu une rencontre en décembre 2013 à Dakar. Certainement que le fruit de leurs réflexions est en train d’être concrétisé par des mesures opératoires sur le terrain et pourra inspirer les autres pays…Enfin, je veux bien y croire.

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