Une autre Alexandrie !
Quand j’y allais, il était difficile à mon entourage de croire à ma nouvelle « blague » et pourtant je n’ai pas l’habitude de plaisanter. A l’annonce de la nouvelle, on m’appela subitement le « Frère musulman ». Ces mots me rappellent le risque que je prends. Et les médias ne faisaient rien pour changer les choses dans la tête de mes proches. Vingt heures : heure du journal. Mon portable sonne. A l’autre bout de la ligne, ma sœur aînée. Elle me demande d’allumer mon poste téléviseur pour suivre les événements en Egypte. Avec mon nouveau projet d’aller sur la terre des pharaons, son cœur ne cesse de battre pour moi et elle suit de très près les derniers développements de cette actualité.
Depuis quelques jours la situation s’était beaucoup dégradée. Les médias annoncent des chiffres de plus en plus lourds en perte de vies humaines, les martyrs comme certains les appellent. Les analystes du Moyen-Orient, combien ne sont-ils pas à travailler sur cette partie du monde hautement stratégique, mais ils ne pronostiquent pas le bout du tunnel. Et à chaque semaine suffit sa violence.
Partir ou rester ? L’université Senghor, opérateur direct de l’Organisation internationale de la francophonie m’attendait. Ah ! J’en avais tellement entendu du bien et voilà que l’opportunité s’offre à moi d’y étudier et de découvrir ailleurs. Pas n’importe où ! Alexandrie.
Dans ma tête, j’ai fini par me résoudre à y aller. J’ai abandonné un projet de création de mini-bibliothèques dans les quartiers populaires de Cotonou qui me tient particulièrement à cœur et mon départ de mon Porto-Novo natal, capitale du Bénin, se faisait de plus en plus imminent. J’allais rejoindre le « pays du vendredi trouble ». Rien de plus inquiétant.
Avec toutes les idées que je me faisais en m’appuyant sur les informations que diffusaient les médias internationaux, je m’attendais à tout sauf à ce que j’ai vu. Surtout, je voulais voir le pays des pharaons tel qu’ « encensé » par les mauvaises langues, où des hommes armés circulent plein temps, et des blindés dans tous les coins de rue. Je peux encore attendre longtemps. Au Caire où j’ai passé ma première nuit égyptienne, les voitures vont et viennent. J’aperçois des couples et leurs enfants qui font les cent pas. Dans un restaurant en plein cœur de la ville, l’ambiance y est et les gens se la coulent douce.
La route pour Alexandrie fut longue. Et au fur et à mesure de ce chemin, je découvre à travers la fenêtre du bus qu’il y a des choses positives que la révolution cache et enterre. Beaucoup le savent certainement.

Alexandrie est là sous mes yeux. L’air frais et chatoyant de la Méditerranée m’accueille dans la ville d’Alexandre le Grand. Sur la carte de l’Afrique, je la situe à un sommet, au nord. Si vous voulez connaître son histoire, elle ne se raconte pas sans le Phare, une merveille du monde antique ou bien sans la célèbre Bibliothéca Alexandrina. Les immeubles, hauts de seize étages, dont certains sont en état de dégradation avancée, foisonnent. Chacun des 4, 5 millions environs d’habitants que compte cette ville doit y trouver un toit.
Le calme des vagues bleutées qui se replient sur la plage témoigne de la beauté et du repos que procure cette ville. Les restaurants sont pleins. Des jeunes gens se promènent bras dessus, bras dessous, le long de la mer. Sur les places publiques, on est loin de s’imaginer un pays en crise, tant l’ambiance est agréable.
Les proches au pays ne manquent pas de s’inquiéter. Les images qui leur parviennent par les médias ne les rassurent guère. Autant qu’ils le peuvent, ils renouvellent dans leur souvenir ma voix. Les autres amis francophones, embarqués dans cette aventure égyptienne connaissent les mêmes affections de leurs parents et amis restés au pays. La réponse qui revient tout le temps c’est qu’ici, on ne sent rien de tout ce qui se montre à la télé. Oui ! Les martyrs de la révolution sont loin de nos préoccupations quotidiennes et même de celles des Alexandrins.
Les Alexandrins, on les voit le matin, pressés de prendre le bus pour se rendre au boulot. Les embouteillages n’en finissent pas et les bus ne désemplissent pas non plus, preuve de l’activité intense dans la ville. Les moins occupés d’entre eux fument une chicha dans les restaurants ; à les voir c’est une partie de plaisir. D’autres font la pêche, assis sur la corniche. Les marchés sont bondés de monde et chacun vaque normalement à ses occupations. Pour nous qui sommes venus d’un pays où la vie coûte cher, c’est un régal de faire des emplettes. Le soir, les feux d’artifice sans cesse retentissants annoncent que de nouveaux liens de mariage ont été scellés. Ah ! Comme ils se marient tous les jours, les jeunes gens d’ici !
Les plus méfiants d’entre les Egyptiens, ne donnent pas leur opinion sur l’actualité politique. Certains sont plus libres. Ceux-là, ils partagent pleinement les actions de l’actuel homme fort du pays et n’hésitent pas à vendre des objets à son effigie.
Dix-neuf heures le vendredi et 23 heures les autres jours de la semaine. Couvre-feu. Et pourtant, ça ne dort pas dans les rues. Les Egyptiens se sont accommodés de cette réalité qu’ils semblent oublier dans les faits. Pour eux, la ville vit ses passions, loin d’une révolution sans fin qui choisit ses sujets et ses lieux. Les mouvements de protestation voilent intégralement la vie calme et paisible qui s’y mène. Le chien aboie ailleurs, et ici la caravane passe.
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