Mon coiffeur est un ex-soldat syrien !
Je suis à Alexandrie depuis plus d’un mois. Mes cheveux ont beaucoup poussé. Des amis m’ont aidé à me faire beau, sans faire de ma tête un chef-d’œuvre. Il fallait juste se contenter de ça. Il n’y a pas mieux pour l’instant.
Les coiffeurs dans cette ville, ne connaissent pas la coiffure à ras, telle que nous l’aimons si bien au Sénégal, au Bénin, en Côte-d’Ivoire ou ailleurs en Afrique subsaharienne. Ils ont souvent le choix entre deux techniques de coiffure pour satisfaire leurs clients : tailler ou raser.
Erick, un ami Congolais, m’a rendu visite un jour. Il avait les cheveux soigneusement coupés. Les congolais et la sape, vous en savez quelque chose. Ils sont friands de beau costume, de belle chaussure et du nœud papillon assorti à la pochette. Je me suis demandé comment serait-il aussi beau sans sa nouvelle coiffure ? J’ai donc voulu connaître son coiffeur pour m’attacher ses services. Et j’ai découvert un personnage, Mohammad.
La vingtaine, Mohammad est Syrien. Il est fiancé. Pas très élancé, sa stature ne dégage pas un homme courageux et violent. Son regard est froid ; on peut y lire son passé. Sa mine change et prend un air sérieux quand il parle de lui-même, sinon il est de nature souriant et gentil.
Pendant qu’il me coiffait, nous avons entamé une discussion. J’ai voulu savoir sa nationalité. « Do you know Syria ? »* me lança-t-il dans un anglais arabisé. J’ai répondu que je connais l’actuel président et que je vois tout ce qui se montre sur le pays. Sans détour, il affirme : « Bachar is a killer ! »*. Il me raconte que son président est le bourreau de la population… Bourreau a t-il dit, et c’est à ce titre que ce chef d’Etat pense qu’il mérite le prix Nobel de la paix 2013 ?

Dans son pays, il était soldat dans l’armée de l’actuel homme fort. La guerre qui a pris des tournures alarmantes l’a amené à prendre son destin en main. C’est ainsi qu’il a fui la Syrie laissant son amoureuse et sa famille. Il vient de prendre un grand risque parce qu’il est autant en danger que ses proches : dans l’armée, on ne pardonne pas ces défections. Certains réfugiés comme lui sont allés en Jordanie, au Liban, en Turquie, en Irak ou encore sont venus en Egypte.
« I don’t want to kill people » m’a-t-il signifié, expliquant les raisons de sa désertion. Mais pourquoi t’es-tu fait enrôler alors dans l’armée ? Il n’a pas trop compris ma question en anglais, donc je n’ai pas eu la réponse. J’ai pu comprendre qu’il est profondément touché par cette actualité. En découvrant les affres de la guerre, Mohammad s’est rendu compte qu’il s’est peut être trompé de métier et de passion.
Pour lui, l’armée fait maintenant partie de son passé. Désormais, il vit et travaille à Alexandrie, mais plus comme militaire !
Depuis maintenant treize mois, Mohammad tient un salon de coiffure au cœur de la ville. Sans trop forcer son talent, cet artiste relooke une trentaine de personnes, enfants et grands, par jour. Il estime par contre qu’il n’est pas bien rémunéré, la prestation coûtant environ vingt livres égyptiennes (deux euros) par client. Mais il arrive à joindre les deux bouts.
Mohammad caresse l’espoir que sa promise le rejoigne un jour en Egypte, même si ce ne serait pas de sitôt. Malgré sa nouvelle vie, rien ne l’empêche de penser à ses proches restés au milieu des armes chimiques et des obus en Syrie.
Comme lui, plusieurs sont ces réfugiés syriens vivant à Alexandrie qui ont réussi leur insertion professionnelle. Dans le même quartier, un autre réfugié gère un petit restaurant qui marche plutôt bien. Leur prière à tous : que la guerre cesse en Syrie pour qu’ils retrouvent leurs proches.
* Do you know Syria ? : connais-tu la Syrie ?
* Bachar is a killer ! : Bachar (al-Assad, actuel président de la Syrie) est un tueur !
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