Djossè TESSY

Des gouttes et des flots

Il coule des sangs dans notre monde,
D’enfants, de jeunes, de vieux,
A cause de ces gens envieux,
Et de leur réflexion immonde,
Il coule des sangs sur nos terroirs,
D’artistes, de journalistes, d’activistes,
Par la faute de ces personnes piètes,
Et de leur mentalité anti-contradictoire,
Il coule des sangs dans nos maisons,
De filles, de jeune femme, de mère,
Maltraitées par des tyrans de père,
Et leur cerveau qui tourne à la déraison
Il coule des sangs pour la démocratie,
Pour effacer l’oppression et la dictature,
Pour acquérir le droit de ne plus se taire
Il coule des sangs pour la patrie
Il coule des sangs pour la survie,
Dans les vas-et-viens quotidiens,
Pour la subsistance et le maintien,
Dans cette société, la nôtre, asservie

Il coule des sangs dans ces luttes
Ô combien surprenantes et antinomiques
Entre religions, civilisations et culture identique
Et c’est le sang des peuples qui s’égoutte
Il coule encore et encore,
Des sangs sans sens,
Des sangs de résistant,
Des sangs pour le folklore !

 


Présidents plébiscités ?!…

Les élections présidentielles en Afrique m’apprennent des choses. Elles m’apprennent comment des politiciens manipulent la démocratie. Elles m’apprennent comment, même les urnes ne résistent pas à la popularité.  Il y a une époque où la plupart des chefs d’Etat africains au pouvoir y sont parvenus chacun de sa petite « magie » : coup d’Etat (putsch dans le jargon), élimination physique (comme l’autre a fait pour son meilleur ami là), pouvoir héréditaire (le père puis le fils), etc. Ces méthodes ont fait de ces chefs d’Etat, des hommes forts dans un premier temps. Le pouvoir a fini par faire d’eux des barbares dans un second temps. Les plus téméraires d’entre eux sont restés longtemps au pouvoir. Ils ne jurent que par et pour l’argent, les forces occultes et la politique politicienne. Ils comprennent la démocratie d’une manière plus voilée que Mobutu. Selon ce dernier, s’il y a plusieurs partis politiques, il y a une pluralité de vérités alors que la vérité est unique. L’unique vérité, c’est son parti. C’est cette vision que certains chefs d’Etat ont encore aujourd’hui, en s’éternisant au pouvoir.  On a souvent cité des gens qui sont des hommes de main pour ces dirigeants. Ces gens prêts à tout pour le chef : à tuer, à tripatouiller, à corrompre, à manipuler, à manigancer… sur le dos du peuple.

Source : https://jeanloupece.fr/
Source : https://jeanloupece.fr/

Mais depuis quelque temps, la pression monte dans tous les sens. Les présidents savent maintenant ne plus s’amuser à l’ancienne pour prendre le pouvoir. Parce qu’on parle de Cour pénale internationale (un genre de tiroir surtout pour les présidents non grata, nuisibles et prouvés comme tels). On parle de gel de subventions et consorts. Sans oublier le soulèvement populaire dont le Maghreb a fait l’expérience et des présidents, les frais.  Alors, pour être un bon président, invité et cité par Obama ou encore Hollande, il faut être clean. Il faut surtout organiser les élections, supervisées par des observateurs internationaux. Le but de l’exercice, c’est de montrer qu’on est un président exemplaire et qu’il s’agit bien d’un Etat de droit.

Je vous parlais de ces magies de présidents qui ont montré désormais leurs limites parce qu’ils ne sont pas discrets. La preuve, quand il y a un putsch, les médias le relaient tout de suite. Et les informations vont tellement vite qu’on sait souvent qui est derrière l’acte criminel. Les présidents ont trouvé une autre solution beaucoup plus pratique pour conserver le pouvoir. Son indiscrétion certes positive n’emballe pas tout le monde. C’est le plébiscite. Vous voulez des élections ? En voici. Au moins, quand un président prend le pouvoir par la voie des urnes, il met tout le monde d’accord sauf ceux qui ne veulent pas être d’accord, l’opposition. Et le soir de l’annonce des résultats, il reçoit fièrement ses félicitations de l’Elysée, de la Maison Blanche…C’est plus moderne pour lui ainsi.

Les résultats de ces scrutins restent souvent anecdotiques. Et depuis quelques années, les cas de « plébiscites ? » de président en Afrique sont légion. Fini alors la magie qu’opèrent les armes à feu pour dégommer un président et lui usurper sa place. Maintenant, c’est le peuple qui est pris à l’assaut. Ils l’invitent au scrutin dont les dés sont pipés à l’avance. Ce peuple, est-il inconscient de ses choix ? Ce peuple, décide-t-il vraiment de son dirigeant ?

Ces scores-fleuves et déroutants sont le résultat d’une série de manipulations pour fabriquer un cocktail Molotov. Ces manipulations commencent par les fichiers électoraux et se poursuivent jusqu’à la délibération. Les stratégies en sont autant diverses. Il y a dans les palais présidentiels des griots qui sont commis à cette tâche. Leur ultime et unique but, c’est de reconduire le président sortant, tambour battant. Ils préparent psychologiquement le peuple en mettant notamment les médias à contribution. C’est plus fort que la propagande. Ça ressemble à du harcèlement mental.  Il suffit de dire et de chanter que tout ce qui est fait n’a été possible que par la bonté, la largesse, la vision, l’incommensurable amour du vénérable président pour son peuple. Et pourtant, ce n’est pas toujours vrai dans tous les cas. Mais qui peut dire le contraire ? C’est pas le ministre qui a fait une messe dans son village pour rendre grâce à Dieu pour sa nomination. Lui, il veut garder son poste. Non plus le maire ou le député qui veut être réélu sur la liste du parti au pouvoir. Tous ceux-là ont donc intérêt à ce que le tout puissant président revienne au pouvoir, qu’il s’y éternise. Le peuple lui-même ne sait à quel saint se vouer. Puisque, de toutes les façons, sa situation ne change pas. Pire, elle s’empire. Loin de ces manipulations tous azimuts, les présidents prennent aussi le pouls de l’enjeu et cette phrase fétiche le jour du vote est de nature à confirmer l’avenir : « nous sommes convaincus de notre victoire !».

Pas besoin d’être un homme qui dispose de toutes ses facultés physiques ou intellectuelles pour être président en Afrique. Il suffit d’avoir derrière, des gens qui croient en vous au nom de leurs propres intérêts, qui peuvent financer votre campagne contre les marchés gré à gré que vous allez leur confier. En Algérie, le cas Bouteflika, 77 ans et en fauteuil roulant,  est désolant. Mais rien, ni même le peuple, ne l’a empêché de rafler plus de 81 % des suffrages exprimés. Président plébiscité. Dans un ancien billet, je décrivais l’amour fou pour le maréchal Al-Sissi. Après avoir participé à l’évincement du président islamiste Morsi, il a été préparé pour être président. Pour moi, les élections en Egypte sont juste des formalités pour consacrer Al-Sissi. Des élections qui représentent la prunelle des yeux de la Maison Blanche après le cafouillage de l’après-Morsi. C’est fait. Al Sissi a été plébiscité à plus de 90 % des voix selon la télévision d’Etat. Un autre cas qui fait école est celui de Mugabe, 90 ans. Il avait aussi fait le boulot dès le premier tour des élections au Zimbabwe.

Avec cette stratégie, un second tour n’est pas opportun pour décider si le président continue à la tête du pays ou pas. Ce type d’action rapide et efficace pour déstabiliser sans fair -play ses adversaires politiques est devenu un effet de mode présidentielle en Afrique. C’est clair maintenant. On n’organise pas des élections pour les perdre. J’en connais chez moi aussi qui a remporté les élections dès le premier tour alors qu’il était en lice avec une vingtaine de candidats. Surprise. Est-ce le fruit d’un premier mandat réussi avec des scandales sociaux et économiques tous azimuts ? Est-ce l’amour fou pour la personne de Yayi ? Est-ce les promesses non tenues et celles futures, autant démagogiques que les précédentes qui ont permis l’exploit ? Je ne saurais le dire, ni personne d’ailleurs. Mais ce que je sais, c’est que, comme l’a remarqué le président Abraham Lincoln, « on peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps ».


Paris VS Alexandrie. 1 : Entre préjugés et réalités

Ceci n’est qu’une introduction. Une incursion dans un parallélisme osé entre deux villes aux réalités divergentes. Mais ce n’est pas par excès d’audace. Après quelques mois passés dans la splendeur d’Alexandrie, je découvre une autre ville toute aussi fascinante : Paris. Comme beaucoup de jeunes africains qui rêvent de se retrouver une fois dans leur vie dans la ville lumière, pour moi c’est fait. Difficile de me refaire à la mémoire, les préjugés construits depuis  maintenant vingt-trois années. Certes, certains d’entre eux viennent spontanément. C’est donc l’occasion de faire le vide, pour pétrir dans ma petite cervelle la réelle réalité. Paris rime avec Alexandrie avec beaucoup d’exceptions. C’est le niveau de développement atteint par ces villes qui l’impose. Cependant, à y voir de près, c’est facile de s’imaginer sur une autre planète. En tout cas, certains faits peuvent amener innocemment à le croire. Et pourtant, seulement cinq heures de vol séparent ces deux métropoles…

Paris_Alexandrie
Paris et Alexandrie

Je foule le sol français en pleine journée. Deux heures de temps passées à attendre mes valises à l’Aéroport Roissy Charles de Gaulle. Le speaker annonce que les valises de ceux qui sont venus du Caire seront livrées tardivement. Pour cause, une grève subite des ouvriers chargés de décharger les valises, sur la piste d’atterrissage. Mais là, j’ai cru un instant que j’allais passer une semaine ou deux sans mes effets. Les tristes souvenirs de la RAM, une compagnie de voyage marocaine, lorsque je me rendais pour la première fois en Egypte, me sont revenus avec insistance. A l’occasion de ce vol, j’ai égaré mes valises que j’ai eues deux semaines plus tard, sans le moindre soin. Sauf que cette fois-ci, AF, la compagnie française que j’avais prise à destination de Paris, a rapidement pris les choses en mains. J’ai juste pensé qu’il est beaucoup moins stressant d’avoir des soucis en France qu’en Egypte. A raison. Les valises m’ont été rendues à mon adresse le lendemain matin. Et les choses commencent bien donc.

Dans mes folles années d’enfance où j’ai eu l’occasion de lire un livre, d’admirer une image dans un magazine, Paris me paraissait un eldorado sur terre, avec sa fameuse Tour Eiffel. C’est le coin qu’il fallait avoir visité au moins une fois dans sa vie. Dans ma famille, il y a certaines personnes que nous appelions affectueusement « Tonton Paris », puisqu’ils s’y sont établis depuis plusieurs années avec leurs enfants. Ceux-là bénéficient d’une attention particulière pendant les quelques jours qu’ils viennent passer au Bénin. Pour la plupart des jeunes, il faut aller à Paris pour étudier afin d’espérer une carrière mieux construite. Ce n’est pas tout à fait faux me semble-t-il, au regard du sérieux qui entretient de tels sujets en France. Mais il y en a qui continuent de croire que la richesse, c’est en France. Ce qui est de moins en moins vrai.

S’il y a une chose qui m’inquiétait le plus en arrivant à Paris, ce sont les transports. Je me suis toujours fait à l’idée que le « zémidjan » (taxi moto au Bénin) est le mode de transport le plus pratique (même si le plus dangereux) qui puisse exister. Sans me tromper. Parce qu’entre métro, RER, tram, bus, train, taxi et vélo, il faut faire un choix. Le but est d’arriver le plus rapidement possible à destination au moindre coût. Je suis devenu subitement nostalgique des mini-bus pas chers d’Alexandrie. Mais, je me permettrai de revenir dans un prochain billet sur l’expérience exaltante des transports à Paris. Je ne manquerai pas de vous raconter comment il est tout aussi facile que difficile de se perdre dans un arrêt.

Mais à paris, tout n’est pas rose comme on s’imagine quand on n’y est jamais parvenu.  A mes frères africains que je rencontre ici, je prends du temps pour écouter la vie qu’ils mènent. Je ne suis pas rassuré que partir pour ne plus revenir reste la meilleure option. Et je termine toujours par une question : « Penses-tu rentrer un jour ? ». Pour le moment, on m’a toujours servi une affirmative convaincante.

Au fil des jours, je tente d’épouser Paris et de m’y plaire. J’essaye de voir en quoi elle ressemble ou  diffère des autres villes que j’ai connues et qui m’ont marqué. C’est une extase continue de s’étonner devant des faits, si sensibilisé qu’on puisse être. L’étonnement vient de façon subite et subtile. Et il ne se passe pas un instant, une seconde où on se dit, tout est accompli par le Blanc ! Cet instant de rêve, de plaisir aussi où on n’imagine pas que la vie peut être aussi facile, vient sans préavis. Entre les mille et dures réalités des transports.  Entre ce qui n’est plus réellement pour moi, un choc culturel mais une curiosité. Au contact de la créativité de l’Homme dont je n’avais pas connu l’immensité plus que je l’ai minimisée. Le résultat de cette masturbation à la fois visuelle et intellectuelle me parait fort charmant. Comme dans tout voyage initiatique, je cherche vite à prendre mes repères. C’est ce qui reste fascinant au quotidien. Des préjugés que j’avais, il y en a qui ont disparu. Mais je suis encore loin de m’imaginer les surprises qui m’attendent, tant tout paraît aussi prévu, aussi ordonné et aussi surprenant.


De quoi souffre le livre en Afrique francophone ?

Il est prétentieux de vouloir traiter du livre en Afrique francophone dans un seul article qui n’est ni plus ni moins qu’un billet de blog ! Parce que le livre peut être abordé sous différents aspects (création, édition, diffusion, médiation…). Parce que l’Afrique francophone est plurielle avec des réalités tant économiques, politiques que socioculturelles qui diffèrent d’un pays à un autre. Parce qu’un tel sujet mériterait de faire l’objet d’une thèse, d’un mémoire, d’une communication à un colloque et peut-être si l’on daigne y mettre le minimum de soin qu’il mérite, un article scientifique dans une revue. Cependant, je ne produirai pas ici un écrit fermé dans un carcan scientifique. Je me laisserai aller à la largesse d’un billet de blog qui apostrophe le passant, qui met les décibels au maximum de leur puissance, là où des gens rêvent ou dorment (à vous de choisir).

livre 1

En dépit de la pluralité de l’Afrique francophone et en faisant volontairement fi de quelques réussites en matière de livre, en réalité des exceptions, les problèmes que rencontre le livre en Afrique francophone semblent être les mêmes. Le développement du continent force à voir ces réalités par nous-mêmes, sans forcément attendre que des visionnaires extérieurs viennent nous illuminer. Aussi, il faudra de plus en plus se départir des phrases toutes faites, toutes dépassées du genre « il n’y a pas de livres africains en Afrique » ou encore « les jeunes ne lisent plus ». Essayons de voir le livre en Afrique francophone sous différents angles.

D’abord du point de vue de la création. Aujourd’hui même s’il est évident que des auteurs de la trempe de Sony Labou Tansi ou encore de Léopold Sédar Senghor existent peu en Afrique, il n’est pas moins vrai que les genres se renouvellent, notamment avec le vivier de jeunes auteurs talentueux qui s’essayent à l’écriture. De la bande dessinée au roman en passant par la poésie, le conte ou encore le théâtre, les œuvres sont souvent inspirées des réalités culturelles africaines. Les difficultés qui se posent à ces créateurs sont de se faire éditer, de bénéficier de la protection de leurs œuvres notamment par le droit d’auteur. De ce fait, peu d’auteurs en Afrique francophone vivent uniquement de leurs œuvres. Certes les acteurs de ce maillon bien que sous la protection « exorbitante » du droit de la propriété intellectuelle sont victimes de différents abus soit des éditeurs (mauvaise exécution du contrat d’édition), soit des consommateurs (piratage). Néanmoins, il me semble que les difficultés du livre en Afrique francophone ne se trouvent pas du point de vue de la création.

Ensuite, il faut voir le livre en Afrique francophone du point de vue des éditeurs. Et c’est là même le nœud de la question. Le reproche que les éditeurs peuvent essuyer régulièrement c’est de ne pas vraiment prendre des risques. Premièrement, dans certains pays africains, les éditeurs se comptent du bout des doigts. J’ai même envie de dire que les vrais éditeurs se comptent au bout des doigts. L’éternel débat revient sans doute sur qui est éditeur et qui ne l’est pas. Sans remettre en cause les théories classiques des industries culturelles en matière de livre, je pense qu’est éditeur, un entrepreneur qui met réellement en phase dans sa production la double nature symbolique/culturelle et économique du livre. Il prend un risque financier en initiant, en suscitant un projet d’édition ou en produisant un manuscrit qui lui a été soumis. Un éditeur n’est pas celui qui édite un ouvrage à compte d’auteurs. Dans ce cas, il n’est juste qu’un imprimeur. Alors, à voir le secteur de l’édition dans les pays francophones d’Afrique, ce sont en réalité des imprimeurs qui dominent.

Je ne surprends personne quand je pense que nos éditeurs n’ont pas les mêmes potentiels productifs que ceux des pays développés. Dans le potentiel productif, il faut voir la créativité, la main d’œuvre, les moyens financiers et les moyens techniques. La créativité est essentielle dans le contenu et la présentation des ouvrages. A nos éditeurs, si peu qu’ils soient, il manque de la créativité, même s’il faut reconnaître et saluer les efforts faits dans les éditions de la Fondation Zinsou  ou de Ruisseaux d’Afrique. Le problème de la main d’œuvre se pose aussi cruellement. Il concerne en premier lieu les compétences techniques nécessaires à la fabrication d’un ouvrage. Il faut doigter à ce niveau le problème de la formation et aussi l’effectif très réduit du personnel de nos maisons d’édition, ce qui ne permet pas des productions d’envergures. Quid des moyens financiers ? C’est aussi l’un des goulots d’étranglement de l’activité des éditeurs. Il leur est difficile d’avoir accès au crédit bancaire. Compte tenu du fait que la production a un coût relativement élevé, son financement peut vite s’avérer décourageant pour l’éditeur. Puis enfin un aspect non moins négligeable est la technologie de production. Alors que l’édition se repose principalement sur la reproduction d’un exemplaire unique, les moyens techniques deviennent un élément incontournable du maillon. Grâce à l’avancée technologique, on observe une révolution au niveau de la production, notamment dans les pays développés. Aujourd’hui, ces derniers sont parvenus à un mode de production que l’Afrique gagnerait à expérimenter. Il s’agit de l’impression à la demande. L’éditeur imprime tout juste le nombre d’exemplaires de l’ouvrage ayant fait l’objet d’une demande. Des éditeurs comme L’Harmattan (France) utilisent déjà ce modèle de production. Ses avantages sont multiples. D’abord, l’appareil d’impression a été conçu pour imprimer et relier des ouvrages en un temps court. Ce qui permet d’économiser en temps d’impression. Quand on sait que le problème majeur des éditeurs c’est l’espace de stockage des exemplaires, ce problème de même que celui de la mévente tend à disparaître puisque la production est déjà vendue à l’avance. Ces appareils performants ont un coût élevé et nécessitent du personnel spécialisé pour leur utilisation ; ce qui a mon avis n’est pas le problème.

Hormis l’édition, la distribution et la diffusion constituent l’un des problèmes majeurs du livre en Afrique francophone. Pour les éditeurs, il ne suffit pas seulement de produire, il faut aussi acheminer les productions vers les consommateurs réels et potentiels. A noter que la diffusion demande de grands moyens techniques pour manipuler des cartons de livres et une bonne stratégie pour atteindre le marché intérieur et extérieur. Dans ce sens, la messagerie de presse peut être une solution pour les éditeurs. Aussi, on ne saurait oublier les librairies classiques qui assurent l’essentiel de la commercialisation des livres dans ces pays. Entretemps, les librairies par terre se développent de plus en plus et semblent rencontrer une clientèle que les librairies classiques ne connaissent pas. Sans doute, leurs atouts sont la proximité avec le public et les meilleurs prix qu’ils proposent, menant ainsi une concurrence inédite aux librairies classiques déjà en nombre très limitées. Les pays francophones africains doivent désormais réfléchir à produire des ouvrages non à l’européenne, mais dans un système fluide qui facilite une coopération entre les différents acteurs de la chaîne de production en vue d’atteindre les consommateurs. Je passe aussi volontiers.

Du point de vue de la consommation. Même si ce n’est pas à ce niveau qu’il y a tout le problème, il y a certes beaucoup à dire. D’abord il faut voir que les valeurs de consommation des lecteurs sont mises à rude épreuve quand il s’agit de faire l’acquisition onéreuse d’un livre. Il est souvent dit qu’il n’est pas dans les habitudes africaines d’offrir ou de s’offrir des livres comme loisir. Cette réalité à ne surtout pas négliger, amène à interroger nos modèles économiques ainsi que les prix auxquels les ouvrages sont cédés au public. On retrouve aisément la conséquence des coûts élevés de production qui se répercutent de façon significative sur le prix final du livre. Et pourtant, il est encore possible de trouver un marché pour le livre en Afrique francophone parce que le public, moins scientifiquement étudié, semble être plus réceptif à des thématiques qui lui parlent. Loin de moi tout idéalisme.

Il y a des discours que je n’admets plus. Ces discours faciles à prononcer pour dire que « les jeunes ne lisent plus ». J’aime plaisanter en rétorquant vigoureusement, « le livre, c’est comme du miel. Mettez-en un aussi délicieux que le miel et vous verrez des enfants s’y attrouper comme des mouches ! ». Cette comparaison peut souffrir de légèreté, mais elle n’est pas démagogique. J’aime aussi qu’on précise en parlant de jeunes, la tranche d’âge dont il s’agit. Ce n’est pas à 20 ans qu’on donne à quelqu’un le goût de la lecture. C’est, me semble-il, depuis ses premiers mots de bébé.

Plus en profondeur, je dirai qu’il y a une recette qu’il faut expérimenter un peu partout dans les pays francophones d’Afrique y compris ceux sortis des conflits. Une bibliothèque de 100 m² de superficie au minimum. Équipée de livres mêmes si pas neufs, mais en très bon état tout de même. Un espace agréable de lecture, bien éclairé et bien aéré. Entrée libre et gratuite. Le tout dans un quartier populaire ou à côté des écoles. Très accessible même en période de pluie. Entretenu au quotidien avec un personnel professionnel, dynamique et très accueillant. Un minimum d’animation comme des classes animées. Des visites de sensibilisation dans les écoles par moment. Résultats, les fréquentations explosent. Les lecteurs y trouvent un centre d’intérêt. Nécessité de penser à une autre bibliothèque pour pourvoir un autre quartier. Au Bénin, la Fondation Zinsou fait l’expérience de ce type de bibliothèque avec son projet de Mini-Bibliothèque.

 Je pense fortement que la conception classique des bibliothèques de type départemental ou communal n’est plus très adaptée au contexte africain francophone d’aujourd’hui. Il urge de mettre en place de petites structures faciles d’accès, faciles à entretenir et utilisant leur proximité avec les utilisateurs réels et potentiels comme des atouts majeurs.

Enfin, à ces différents aspects, il faudra ajouter la volonté politique qui fait cruellement défaut. En la matière, plusieurs sont ces pays d’Afrique francophone qui ne possèdent pas un document de politique nationale du livre et de la lecture. C’est d’ailleurs pour aider à l’élaboration de ce document cadre que les Directeurs nationaux du livre des pays membres de l’Uemoa ont tenu une rencontre en décembre 2013 à Dakar. Certainement que le fruit de leurs réflexions est en train d’être concrétisé par des mesures opératoires sur le terrain et pourra inspirer les autres pays…Enfin, je veux bien y croire.


Alexandrie : trois regards sur l’Université Senghor

Trois mondoblogueurs sont passés par cette ville, en des temps différents, entre 2012 et aujourd’hui. Ils ont côtoyé de près ou de loin cet antre mystérieux que constitue l’Université Senghor au sein du paysage égyptien, et se proposent de vous la conter. 

Pascaline  :

Un réveil matinal sur Marseille la méditerranéenne, une brise maritime, quelques coups de klaxon, me font penser à Alexandrie sa (fausse) jumelle. J’ai la lourde tâche, confiée par Djossè, mondoblogueur Alexandrino-Béninois, de vous parler de son Université que j’ai aussi connue : l’Université Senghor d’Alexandrie. Je rassemble mes souvenirs pour tenter de vous en faire un portrait le plus complet possible.

Alexandrie_collage©Pascaline Breuil
Alexandrie_collage©Pascaline Breuil

A cette heure-là, il y a un an, je pressais mes pas le long des rues encombrées de Mancheya, esquivant les bouts de trottoirs enfoncés, les marchands ambulants et les passants, pour me frayer un chemin vers mon lieu de travail. Les coups de klaxon successifs, les cris des marchands qui appelaient les clients, les discussions vivent de la rue étaient chargés de me sortir de ma torpeur matinale pour engager ma journée. Avant d’atteindre la corniche où j’allais trouver le chic bâtiment du Swedish institute, je devais passer devant la grande tour de l’Université Senghor. Une énigme alexandrine. J’en avais entendu parler bien avant d’arriver en Egypte, par une amie qui était passée par Alexandrie quelques années auparavant et qui avait pu rencontrer certains de ses étudiants. Elle m’avait même confié la mission d’aller à la rencontre de ces « senghoriens », une fois arrivée en Egypte. Car, me disait-elle, ils sont très isolés, ils vivent dans une bulle, et ce serait super de monter un projet avec eux, de leur permettre de découvrir la ville, de rencontrer des Egyptiens. J’avais un peu oublié sa mission une fois embarquée dans le flow alexandrin, et de Senghor je ne voyais que cette grande tour, découpant le ciel de la ville.

Je la côtoyais donc chaque matin ou presque, sans trop la voir, comme les foules d’Alexandrins qui passaient par ici. Car mis à part sa hauteur majestueuse, que l’on voyait surtout au loin, mais que l’on oubliait presque une fois à ses pieds, son insigne à l’entrée, et les bus garés en bas de la tour, on ne voyait pas grand-chose de Senghor. On ne savait pas grand-chose non plus. La francophonie avait son université ici, c’était un fait connu, mais de cette institution, on ne savait guère plus.

J’ai pu percer le mystère de Senghor grâce à un commentaire d’Attassé sur mon blog, fraîchement ouvert à mon arrivée en Egypte : « Embarqué dans la même aventure de Mondoblog, et surtout dans la même ville que toi!!!! quel plaisir de te lire. Contacte-moi si possible » disait-il, et je découvrais avec étonnement que Senghor était parmi la famille Mondoblog. Pour être honnête, à l’époque, je n’avais pas beaucoup plus d’idées de Mondoblog… Je suis donc allée à la rencontre d’un étudiant d’une université mystérieuse, et d’une communauté qui l’était tout autant à mes yeux.

Je pouvais donc rencontrer pour la première fois un mondoblogueur. Je pouvais dans le même temps, enfin fouler le sol de la grande tour et me pencher à ses fenêtres pour admirer la vue sur la corniche, la bibliothèque un peu plus loin, et aussi le fort Qaitbay de l’autre côté. Je ne sais plus trop si l’angle de vue était aussi large, mais j’ai envie de le penser ainsi, pour vous donner une idée plus précise de la ville d’Alexandrie, embrassant la Méditerranée. J’avais dû débarquer un vendredi ou un samedi, jour de repos pour les étudiants, et l’université que j’ai connue n’avait pas la vie animée que l’on peut imaginer. Quelques étudiants travaillant dans des salles presque vides, des professeurs et des employés çà et là, voilà tout. Toutefois, j’étais très heureuse à ce moment-là d’entrer à nouveau dans ce « monde » francophone qui m’était familier, alors que le reste de mes journées était une bataille avec mes rudiments d’anglais et mes balbutiements d’arabe égyptien fraîchement appris.

J’étais aussi très heureuse de rencontre ses étudiants, de découvrir leurs programmes et d’échanger avec eux sur la découverte d’Alexandrie qui nous était commune, mais tellement différente à la fois. Lorsque nous parlions de la ville, c’était comme si nous parlions de deux lieux distincts. Je l’avais découvert par le biais de mon volontariat à la bibliothèque, puis à la fondation Anna Lindh, et par les réseaux et la vie culturelle qui entourent ces deux organisations. Les étudiants de Senghor découvraient quant à eux l’Alexandrie de la francophonie, la cousine de Ouagadougou, ville également hôtesse du campus Senghor. Lorsque l’on est embarqué dans l’énergie du quotidien alexandrin, les négociations avec les taxis, les négociations avec les marchands, les sorties, la bibliothèque, les Nescafé bin leben, les shisha tofeha, la corniche, Anna Lindh, les cours d’arabe, on oublie tout cela. On oublie même que la ville est sur le continent africain. Car pour beaucoup d’Egyptiens que j’ai rencontrés, l’Egypte est au Moyen-Orient, avant d’être éventuellement en Afrique.

Il n’y avait que très peu de similitudes entre nos quotidiens finalement. Immergée dans la vie culturelle alexandrine, j’avais les informations et le temps nécessaire à la conter sur mon blog. Immergés dans les études et les plans de mémoire, les étudiants de Senghor avaient des priorités toutes autres, et ne devaient pas oublier pourquoi ils étaient là : étudier. Les exigences étaient sévères et la sélection d’entrée tout autant me semblait-il. Pas droit à l’erreur donc. C’est peut-être pour cela que la tour est si haute : tournée vers le ciel tel un grand baobab, elle ne laisse pas le loisir à ses habitants de se pencher sur ses racines et la vie qui grouille en dessous. Mystérieuse et protectrice, elle veille sur ses rejetons pour les protéger du racisme, et des « chocs » culturels et pour leur permettre de mobiliser leur énergie ailleurs.

Pourtant, cette tour, je l’ai tout de suite reconnue dans l’article de Djossè, alors que j’avais quitté le pays, et qu’une nouvelle année commençait. Tout juste un an après moi, il débarquait à Alexandrie des rêves et des idées plein la tête. Je découvrais avec plaisir son aventure, et me plongeait dans cette re-découverte au goût si particulier. Pourtant, la ville que j’avais connue et celle qu’il décrivait là n’était plus tout à fait la même, seuls ses habitants restaient égaux à eux même. Une révolution et un changement de régime passés, comme la suite inéluctable des tensions que j’avais perçues tout au long de mon séjour égyptien. La seule question qui se posait vraiment alors que j’étais en Egypte était la suivante : quand sera la prochaine révolution ? Le temps nous aura donné une réponse après cette période d’incertitude des lendemains. Le couvre-feu, l’armée dans les rues, les portraits de Al-Sissi … je n’ai pas connu.

Alors à bien des égards, j’ai l’impression que Djossè et moi avons connu deux villes différentes. Deux mondes aussi. Pourtant, je prends plaisir à bavarder avec lui de ses découvertes, ses étonnements, ses questionnements, qui me sont tout de même un peu familiers. Ils me permettent de comprendre la ville qu’il a connue, la ville que j’ai manquée, et peut-être la ville que je redécouvrirais un jour. Le temps est fait d’incertitudes, pour Alexandrie comme pour moi. Alors je ne saurais vous le dire avec certitude.

Djossè :

Alexandrie, la ville qui m’adopte depuis maintenant plusieurs mois, on peut la raconter aussi différemment que les étonnements qu’elle inspire. Lorsque j’ai eu mon admission à l’Université Senghor en Egypte, le pays ne s’était pas encore remis de la révolution. Comment savoir ce qui se passe sur place ? Les médias nous montrent le peuple égyptien dans la rue avec l’armée désormais aux affaires. Les séries d’attaques à la voiture piégée ne pouvaient que donner une vision sanglante du pays. D’ailleurs, certains journalistes vont jusqu’à montrer la profonde dégringolade dans les statistiques de visiteurs de ce pays depuis que le vent du « printemps arabe » y a soufflé. La destination est déconseillée sur le site du ministère français des Affaires étrangères. Moi, je tenais encore à me donner des arguments pour y aller. En faisant une petite collecte d’informations sur Internet, je suis tombé sur le blog de Pascaline. Elle présentait une actualité égyptienne décalée, avec des illustrations qui donnaient le pays à voir en couleur, malgré l’ambiance délétère.

Université Sengor vue de la corniche
Université Senghor (à gauche) vue de la corniche ©Djossè TESSY

Je découvre Alexandrie quelques mois plus tard. Une belle ville qui borde la Méditerranée. Le bleu de l’eau et l’azur du ciel lui donnent une certaine convivialité. Seules les fissures des vieux immeubles qui pullulent dans la ville, les ordures dans les ruelles semblent écorcher cette beauté. Foudroyé par cette atmosphère bercée par l’air marin, j’ai oublié quelques instants mes peurs. Je ne me croyais pas dans un pays en crise politique. Et je me suis laissé aller à cette nouvelle romance qui, je l’avoue m’a aveuglé. Mais au fil des jours, en m’infiltrant dans les marchés, dans le minibus pour me rendre à l’université, en écoutant les mésaventures de certains collègues, je découvre davantage cette ville, sa fièvre culturelle, son dynamisme et aussi les peines qu’elle peut procurer. Je découvre aussi la vie des Alexandrins qui parfois me paraît étonnante tant les contradictions sont profondes. Les conseils reçus des anciens étudiants de cette université s’estompent très rapidement dans ma tête. Je me suis rendu compte que le temps dans lequel ils ont vécu, même récent, connaît des évolutions surprenantes. Eux, ils ont vécu la révolution qui a fait partir Moubarak. Ils ont vécu l’ère Morsi avec toute l’inquiétude de l’islamisation du pays. Moi je suis en train de vivre l’ère Al-Sissi. Et c’est comme si les règles changeaient selon les périodes. Les modes de vie aussi. Pour moi, le plus important est de me concentrer sur le but de ma présence ici : étudier.

A voir la belle Bibliotheca Alexandrina qui se dresse sur la corniche, l’envie d’épouser la connaissance se renforce. Ce n’est pas le géant bâtiment de l’Université Senghor, opérateur direct de la Francophonie, qui enlève cette motivation. De la corniche, cet édifice ne passe pas inaperçu. Étudier à l’Université Senghor est le rêve de beaucoup de jeunes francophones. Il s’agit d’une expérience unique de côtoyer plus de dix-neuf nationalités différentes, toutes francophones venues pendant deux années universitaires. La diversité culturelle en marche. De nouvelles amitiés et le partage de cultures qui en résulte accompagnent cette riche formation. Les auditeurs en master développement à l’Université Senghor ont des niveaux d’étude aussi diversifiés (allant de la licence au doctorat) que les formations dont ils sont issus : du droit à la microbiologie en passant par la sociologie, la médecine, la documentation, l’économie. Au terme de la formation, c’est plus de deux cents cadres âgés de moins de trente-six ans qui vont contribuer au développement du continent africain. Les professeurs viennent de différents coins du monde francophone. Je sais lire leur plaisir d’être invité pour un enseignement, dans leur abnégation. Des moments jouissifs, ils en connaissent au moment de la prise de contact et lors de la photo de famille, à la fin du cours.

L’Université Senghor, un vrai symbole de la Francophonie dans un pays arabophone. D’ailleurs, c’est l’une des questions qui a meublé nos discussions entre collègues de l’université, les premiers jours de la rentrée alors qu’on commençait à peine à faire connaissance. Alors, pourquoi l’Université Senghor en Egypte ? Il fallait se rendre à l’évidence que le lobbying politique de Boutros Boutros Ghali, ancien secrétaire général de la l’Organisation internationale de la Francophonie pour que l’Egypte abrite cette université, a été pour beaucoup. La portée culturelle de la ville Alexandrie aussi.

L’anglais, mieux que le français est un luxe pour les Egyptiens, surtout dans la rue. Les difficultés à s’exprimer avec les Egyptiens sont devenues frustrantes. Il faut se débrouiller avec quelques bribes d’anglais parce qu’on ne parlait aucun mot d’arabe si ce n’est pour dire merci (choukran). Tant pis si vous ne savez pas qu’il faut avoir un papier mouchoir sur vous à montrer au vendeur pour l’acheter. Mieux, écarquiller les yeux sur son présentoir pour trouver le produit recherché. Et quand vient le moment de solder sa facture, le réflexe, c’est de prendre une calculatrice pour faciliter la communication. Cette barrière linguistique n’a pas favorisé l’intégration des « senghoriens » avec la culture égyptienne. Ils sont donc obligés de rester dans leur cercle de compatriotes dans lequel ils sont à l’aise, avec quelques liens qui se créent avec d’autres communautés. De ce fait, malgré la forte attraction qu’est capable d’offrir cette ville, il n’est pas chose aisée de se trouver souvent des centres d’intérêt. On se retrouve alors comme dans une bulle où les seuls lieux qu’on sait fréquenter sont l’université et la maison. Beaucoup plus l’université que la maison. Le premier étant le lieu du déjeuner et du petit déjeuner. C’est le lieu des cours et de la bibliothèque. C’est le lieu des activités culturelles qu’organisent les étudiants. C’est aussi le lieu où se créent les affinités et Dieu sait qu’il y en a beaucoup. Finalement c’est comme un pays dans un autre parce que les étudiants arrivent à créer leur vie dans cette portion de terre qui leur est réservée.

Avec Pascaline, l’entame d’une discussion se fait en arabe dialectal. Nous partageons cette passion alexandrine, que les étonnements, les questionnements, aussi bien les miens que ceux que ses souvenirs ravivent, rendent vive. Il arrive qu’elle décrive des réalités que je n’ai pas connues. Elle en décrit d’autres que je connais, que je vis. Mais les Egyptiens eux-mêmes n’ont pas changé. Même s’il m’arrive de me lasser de la vie monotone d’ici, à compter les jours au gré du soleil qui se lève, Alexandrie peut me manquer. Elle m’a déjà manqué une fois alors que je suis juste parti juste pour une semaine. Et maintenant, je ne sais comment ce sera la prochaine fois, tant l’envie de repartir pour beaucoup plus longtemps me prend déjà.

Atassé:

Le rêve d’un voyage dans une ville si grande par son histoire, « Alexandrie », ne peut se terminer que quand l’on foule avec le pied le sable fin de la Méditerranée. En réalité je me demande même si ce rêve est réellement terminé ? Si grand et si haut et là je ne parle pas que de la grande muraille de l’Université Senghor, mais aussi de la ville d’Alexandrie.

 Mon rêve a pris forme un dimanche du mois de septembre il y a deux ans. Ce rêve, je l’ai vécu réellement en deux phases. La première partie de mon rêve je l’ai passé à scruter chaque mètre de la ville d’Alexandrie qui s’offrait à moi. Où suis-je ? Qu’est-ce que je cherche ici ? Que racontent ces milliers de passants que je croise ? Ces questions ont sans doute rythmé mon rêve qui m’a amené à découvrir le Nil, la Méditerranée, les Pyramides, la langue arabe…. Ce fut à la fois un mélange nostalgique de mon Afrique noire et un mélange de curiosité et de découverte de l’autre…

Université Senghor
Université Senghor ©Djossè TESSY

Cette première partie de mon rêve a très vite pris fin avant que le cauchemar ne s’empare du reste de mon existence. J’ai dit cauchemar ? Bon je dois l’avouer, entre le rêve et la réalité l’écart est sans doute trop grand.

 La deuxième partie de mon rêve court de deux heures du matin à sept heures. En réalité c’est seulement à deux heures du matin que la ville d’Alexandrie semble trouver un semblant de calme accordant un léger répit à ceux qui doivent se réveiller très tôt le matin pour vaquer à leurs différentes occupations. Cette deuxième partie de mon rêve a commencé par le coup de fil d’une amie, d’une mondoblogeuse, sans doute aussi curieuse que moi, mais plus ouverte et plus intégrée. Avec elle, l’aventure fut autrement. La passerelle est désormais créée entre elle qui représente pour moi l’Egypte vue autrement et l’Université Senghor, cette muraille de fer imbattable et imprenable qui reste incomprise de certains Alexandrins.

Pour elle et pour moi, le regard est désormais différent. Sans quitter ma muraille de fer, j’ai pu me promener dans le désert, découvrir les grandes villes du sud de l’Egypte et surtout revisiter ces multiples salles de classe de l’Université Senghor qui semblent tenir un autre langage. Cette deuxième partie de mon rêve, j’aurais aimé qu’elle dure plus longtemps. Mais malheureusement elle fut la plus courte.

 J’ai redécouvert mon Université. Le ballet incessant des défilés de professeurs venus de partout dans le monde et qui faisait de moi un citoyen universel. Le débat toujours engagé avec tous les étudiants provenant de tout l’espace francophone se terminait toujours par cette satanée phrase « chez moi ! » comme si finalement chacun revendiquait sa spécificité dans un monde qui se veut de plus en plus universel.

Il y en a sans doute dans cette centaine d’étudiants de l’Université Senghor que je ne rencontrerai plus. Il y’ en a aussi de ces visages arabes, que je ne verrai plus… Mais on a vite fait de me dire que dans la vie on ne dit jamais…jamais.

 En attendant que ce « jamais » ne disparaisse de la langue de Molière pour me laisser le droit de rêver à nouveau, je me sens aujourd’hui comme neuf, lavé par le Nil, nettoyé par la Méditerranée et bronzé de mon noir africain par le soleil de la grande bourgade d’Alexandrie.

 Je suis fier de mon Afrique si diversifiée, si multiculturelle, si belle et si accueillante.

PS : Cet article est également disponible sur le blog de Pascaline et de Atassé 


(Re)vivre

On ne peut imaginer,

Les remords de nos morts,

Les mots qui décrivent leurs maux,

Dans la solitude de ce gouffre noir et coi,

Plus bas que notre planché,

Loin de l’abîme de cette vie,

Des combats qui ont fait battre leurs cœurs,

Qui ont donné un goût poivré à leurs joies,

En tirant à hue et à dia leurs émotions,

En mettant dans leur foi, leurs espoirs.

Notre souffle a une mission,

Qui peut échapper à notre vision,

Pendant ces instants de doute,

Où on ploie sous le poids,

Des regards d’ailleurs qui encombrent,

Qui embrassent et embrasent nos pensées,

Mouillent notre vie lâche et lassante,

Déjà perdue  entre les jambes de nos peurs,

Et notre sujet devient celui des babils envieux,

Comme s’il s’agit d’une fille de joie.

 

L’ombre qui plane sur nos rêves,

Vient de la verve de ces rêves,

Qui pacsent notre esprit et notre corps

Avec le poison de l’amour des hommes.

La mission de notre souffle,

C’est dans le coffre-fort de notre personne,

Et puisqu’elle est unique,

Il faut la vivre ou la revivre,

Dans la gaieté de ses mésaventures,

Comme dans le souci de ses victoires.

 

On ne peut mieux faire,

Que baiser sa vie, même ankylosée,

Que jouir dans le bruit,

Quand on est dans l’extase,

Dans la turpitude de notre attitude,

Ou même dans l’enfer de nos regrets,

Toujours jouir de la fantaisie de nos envies,

Comme dans l’appétit de nos plaisirs,

Parce que nos délires nous délivrent,

De la peur de nos erreurs.


« Moi président de la République » du Bénin…

Les nombreuses crises sociales au Bénin poussent à regarder vers la sortie : la fin du mandat de Boni Yayi, président de la République, en 2016. Entre-temps, je me suis demandé ce que je ferai en tant que président. J’ai pensé à la fameuse « moi président de la République» de François Hollande lors de son face à face avec Sarkozy le 2 mai 2012.

Moi président de la République, je ne toucherai pas à la Constitution

L’un des péchés mignons de Yayi, c’est de vouloir réviser la Constitution à deux ans de la fin de son mandat. Au Bénin, la Constitution est un fétiche. Ce qui veut dire qu’on n’y touche pas. Ou bien pour y toucher, il faut faire des « cérémonies ». Matthieu Kérékou en sait sûrement quelque chose. En son temps, plusieurs organisations de la société civile et les partenaires sociaux se sont opposés à sa volonté de modifier la Constitution. Il s’est donc retiré tranquillement. Moi président, je ne tenterai pas de la toucher, sauf si le peuple le souhaite. C’est vrai qu’il y a des articles à revoir. Plus il évoque le sujet de la révision, plus il est mal vu. Moi président, je ne ferai pas cette erreur-là. Même s’il n’y a pas de sondage pour voir sa popularité dégringoler, l’ambiance sociale le prouve aisément et la presse en parle.Armoirie Bénin

Moi président, les opérateurs économiques seront mes partenaires

Les opérateurs économiques au Bénin ont des difficultés avec Yayi Boni. Déjà, ils ne sont pas nombreux à oser investir dans ce pays. Le plus puissant d’entre eux, Patrice Talon, a déjà vu tous ses intérêts sur le sol béninois menacés. Au nom de l’affaire tentative d’empoisonnement du chef de l’Etat. Sébastien Ajavon, Pdg du Groupe Comon Cajaf voit souvent à ses trousses les agents du ministère des Finances pour redressement fiscal. Moi président, je voyagerai avec les opérateurs économiques dont la contribution au budget national est significative. Ceci pour leur permettre de conquérir d’autres marchés à l’international. Je les impliquerai dans mon projet de société. Je ne les persécuterai pas. Ils seront mes partenaires.

Moi président, je travaillerai pour la cohésion sociale

Le président que je serai ne cherchera pas les poux sur la tête du chauve. Comme Yayi Boni a pris l’habitude de le faire aussi souvent et si bien. Je me demande comment il s’arrange pour être toujours dans la tenaille des syndicalistes. Les décisions qu’il prend, les propos qu’il tient ne sont pas de nature à lui faciliter la tâche. Ce qui fait que les mouvements de déblayage qui naissent paralysent le pays. Les enseignants en grève. Les magistrats en grève. Les médecins en grève. Je prendrai mes dispositions pour discuter à intervalles réguliers avec les partenaires sociaux afin d’anticiper ces crises. Je chercherai les solutions, non dans de beaux discours, mais en affrontant les problèmes qui se posent. Surtout, je n’imputerai pas les salaires des travailleurs à mon gré au motif contestable de la grève. Je ne programmerai pas un voyage à l’international, la veille de la fête des religions endogènes (10 janvier de chaque année chômé et payé) juste pour ne pas y assister à cause de mes convictions personnelles. Je serai au côté du peuple lors dces commémorations qui lui semblent importantes.

Moi président de la République, je ferai de grandes concertations

Sur le dialogue politique. Les partis politiques qui n’auront pas les mêmes idéologies que moi, je ne les appellerai pas l’opposition. Je les appellerai les « autres courants de pensée ». Je mettrai en place un cadre de concertation entre les différents partis politiques afin que tous les citoyens béninois participent à l’animation de la vie publique. Je ne motiverai pas financièrement les hommes politiques pour qu’ils disent, fassent ou ne fassent pas telle ou telle chose à ma gloire. Je chercherai l’intérêt supérieur de la nation. Pour cela, je commencerai par leur donner une tranche d’antenne à la télévision nationale.

Sur l’économie, je parlerai franchement aux opérateurs économiques. Pas uniquement avec des fora qui n’aboutissent à rien. Mais aussi, je mettrai en place les mesures qui garantissent leurs investissements. Je travaillerai à la production locale et à la consommation locale.

Sur la culture. Je chercherai à discuter avec les acteurs des différents domaines de la culture. Je penserai à mettre en place des politiques sectorielles de la culture. C’est aussi un des domaines où il y a peu d’études sur l’état des lieux. Je commanderai des études sur les industries culturelles et créatives, le patrimoine, la lecture, les artistes… Je veillerai à mettre en place des infrastructures pour le développement des activités culturelles au Bénin.

A la jeunesse. Je parlerai de père en fils. Je ne les utiliserai pas politiquement. Je ne les convoquerai pas pour leur dire que je vais « bondir ». Je les appellerai pour écouter leurs préoccupations et leurs propositions. Pour leur parler des mesures que j’entends mettre en place pour leur insertion professionnelle. S’il y a confusion sur le campus, je n’enverrai pas les militaires comme en Centrafrique. Juste le dialogue entre les différentes parties pour une sortie de crise.

Aux femmes. Elles ont déjà des microcrédits. Je ne leur dirai pas seulement que je les aime. Je leur dirai qu’elles ont leur rôle à jouer dans le développement de ce pays. Je travaillerai à l’égalité homme et femme notamment en nommant les femmes à de hauts emplois de la République. En opérationnalisant la gratuité de l’enseignement pour les filles. En primant les meilleures filles aux différents examens académiques.

Moi président de la République, je ferai attention aux mots que j’utilise dans mes discours

Je préparerai au mieux mes interventions médiatiques. Moi président, je n’utiliserai pas des mots pour me rendre ridicule. Pour cela, je ne sortirai pas de ma feuille de discours pour montrer mes réactions épidermiques. Je ne dirai rien qui ne soit prévu. Huit années de pouvoir. Yayi Boni a créé plusieurs concepts dont il est le seul à avoir le secret. En 2006, il est venu avec le « changement ». Au bout de cinq, comme si cela ne suffisait pas, l’homme crée la « Refondation ». Pendant son deuxième mandat, Yayi Boni n’a pas tari d’imagination. Il parle de la « dictature du développement ». Tous ces concepts, quand bien même controversés, ont eu une certaine aura. Parce que, dans les discussions, les Béninois les utilisent souvent : « c’est le changement », « c’est la refondation », « c’est la dictature du développement », pour s’en moquer ! Il a su créer un autre slogan qui lui a marché : « Les femmes, je vous aime ». Les femmes constituent plus de la moitié de la population béninoise. Et donc une cible à convaincre quand il s’agit de prendre le pouvoir. Yayi ne s’est pas arrêté là. Il désigne les jeunes chroniqueurs d’une chaîne de télévision privée de « petits ». Mais comme il est un « cabri mort » il se refuse de réagir pour leur faire du mal. Tout récemment encore, en recevant des jeunes à la Marina, il a promis  de « bondir ». Le « bondinini » est né. C’est sûr que je n’ai pas sorti tous les concepts du lexique Yayi. Tellement l’homme ne manque pas d’imagination. Moi, je ne serai pas ce président-là. Je serai le président qui canalise ses émotions et qui sait quoi dire à son peuple.


La nudité, une arme féminine explosive ?

J’ai essayé de fouiller dans mes souvenirs. Je cherchais juste une image. Une image d’hommes dénudés pour réclamer un droit. Pour s’indigner. Pour s’insurger. J’ai longtemps cherché dans ma tête sans rien trouver. Mais me disant que ma mémoire peut être assez courte, j’ai aussi fouillé sur Internet. Rien. Je fais le même exercice côté femme. D’ailleurs, rien qu’à voir l’actualité, plus besoin de se torpiller la mémoire, à chercher dans de vains souvenirs. Je me suis rendu compte que la faiblesse physique (à tort ou à raison) que l’on colle aux femmes n’est qu’une question de point de vue. Parce que les femmes, leur force peut être ailleurs. Dans leurs parties intimes dénudées.

Manif_8-marsdeuxDans les pays arabo-musulmans comme l’Egypte, c’est rare de voir les femmes à moitié nues. Je vais plutôt dire qu’il n’y en a pas. La norme, c’est le voile qui serre la tête en descendant dans le cou. Pas de vêtement sans manche et le haut serre jusqu’au poignet. Le pantalon jeans est très usité. Et lorsqu’il y a un espace au pied que les chaussures ne comblent pas, le bas permet de le combler. Avec le hijab, il est juste possible de voir le visage et les mains. La burqa quant à elle couvre intégralement le corps de la femme. Chez d’autres femmes, le niqab laisse juste filtrer l’iris noir pointé sur la conjonctive blanche. En Egypte par exemple, les femmes ne se mettent pas en bikini à la plage. Même pour se baigner, elles se baignent avec leur voile.

Simplement lorsqu’elles s’habillent de façon légère, les femmes ont le don de choquer. Décolleté laissant percevoir le début des rondeurs logées sur la poitrine. Les mini-jupes qui cachent l’essentiel et laissent admirer les longues jambes bien entretenues et brillantes. L’élégance conduit des femmes à se hisser sur des chaussures à talons hauts et pointus qui façonnent leur allure devenant déconcertante. On m’a une fois dit qu’il y a des femmes qui adorent soutenir le regard des hommes par leur frime.

Pour protester, des groupes plus ou moins organisés de femmes utilisent leur corps. Elles se dénudent, montrent leurs parties intimes sur lesquelles sont inscrits des messages. Des messages de dénonciation des abus dont elles sont victimes. Elles espèrent provoquer le choc culturel. Le choc psychologique, notamment chez les hommes qui ne font rien pour changer leur situation. Elles espèrent indisposer par ces images qui vont circuler dans les médias et les réseaux sociaux pour créer le déclic. Elles veulent déranger. Déranger en montrant ce qui leur reste de plus cher lorsque dans le monde, elles sont victimes d’oppression et lésées dans leurs droits. Montrer leur indignation vis-à-vis de la servitude qu’elles subissent. Parce que, osons le dire, les personnes de sexe masculin se sentent les plus libres dans ce monde. Eux, ils ne portent pas le hijab, la burka ou encore moins le niqab. Ils se baladent en bermuda, en tee-shirt, sans s’attirer la foudre. Ils ne subissent pas la charia, ils l’a mettent en pratique contre les femmes. Le mouvement des Femen s’est rendu célèbre par ce mode d’action : montrer ses seins nus avec des messages sur le corps, des affichettes pour se faire entendre. Elles sont arrêtées. Elles sont emprisonnées. Leurs images créent le buzz. Leurs actions aussi. A Paris, à l’occasion de la journée internationale de la femme, sept femmes cette fois-ci entièrement dénudées ont mené une action foudroyante. Parmi ces militantes, on retrouve Amina Sboui, tunisienne, ancienne des Femen et des filles de l’Egypte, de l’Iran. Devant la pyramide du Louvre (un endroit choisi pour donner de la visibilité à leur mouvement), elles s’insurgent contre l’oppression dont les femmes font l’objet dans le monde arabo-musulman en brandissant des drapeaux notamment de l’Egypte, de la Tunisie, de l’Iran…

Lorsque la nudité constitue une arme pour certains mouvements féministes, il faut s’interroger sur l’impact de ces mouvements. Certes, en Europe où ces actions coup de poing se déroulent pour la plupart du temps, il y a des interdits. Mais le risque que courent ces filles est plus important dans les pays musulmans dont elles dénoncent la situation de la femme. Dans l’opinion, les avis des femmes elles-mêmes sont partagés. Certaines ne conçoivent pas ce qui peut amener une femme à montrer à la face du monde ses parties intimes. D’autres supportent volontiers ces actions. Ces mouvements ne connaissent pas encore un véritable impact sur la situation des femmes dénoncée. La réalité c’est que les femmes dans les pays arabo-musulmans sont malheureusement aujourd’hui encore soumises. Cependant, il faut voir dans le risque qu’elles prennent, dans leur envie de braver les interdits, une volonté manifeste de voir enfin s’améliorer la condition des femmes. Celles-ci doivent soutenir ces mouvements qui luttent pour leur cause commune.


Egalité entre homme et femme en Afrique : une utopie ?

La journée internationale de la femme inspire les femmes du monde. Celles instruites défendent celles restées dans les champs, celles malmenées dans leurs foyers ou encore celles qui s’abritent dans les camps de réfugiés. Les activités au nom de la femme foisonnent. Les discours se suivent. La presse se met en branle. Le réseau social Facebook abonde de messsages poétiques, de fleurs si colorées pour les femmes. Les organisations de protection des droits de la femme s’activent.  Des voix s’élèvent.

Femmes_révoltez_vous©Marine_Fargetton
Femmes, révoltez vous©Marine Fargetton

A l’Université Senghor d’Alexandrie, opérateur direct de la Francophonie, les femmes ont décidé de débattre au sein de la Société d’art oratoire. Un débat structuré devant un jury chargé de désigner l’équipe gagnante. Deux équipes de quatre femmes exposent leurs différents arguments. Les unes représentent le gouvernement avec à sa tête un premier ministre. Les autres, l’opposition avec un leader. Il s’agit de convaincre l’autre partie et le peuple représenté par le public.

Les femmes débattent de leur condition. Elles débattent de l’éternelle question de l’égalité entre l’homme et la femme. Dans cette joute oratoire, les arguments pleuvent. Au grand plaisir du public, en grand partie masculin, qui soutient par des chuchotements vivaces les arguments qui…les arrangent.

Le groupe des femmes représentant le gouvernement soutien que l’égalité entre l’homme et la femme en Afrique est une utopie. Pour ces femmes, l’égalité est difficilement réalisable sur plusieurs points. D’un point de vue socio-culturel, la société africaine est patriarcale. Il n’existe d’autorité que celui de l’homme, le chef du foyer. Certes il existe des foyers où c’est la femme qui détient le pouvoir. La société africaine n’est pas habituée à de pareils cas qui ne la laissent donc pas indifférente. C’est bien cette exception qui confirme la règle. D’un point de vue biologique, les deux êtres ne sont pas dotés de la même morphologie ce qui donne tout son sens au statut de sexe faible souvent prêté à la femme. Aussi, selon ces femmes, l’égalité entre l’homme et la femme relève d’une affirmation émotionnelle. Les réalités sont là et il n’est pas question de les occulter pour prétendre à une égalité saugrenue. Elles constatent aussi que la pauvreté tend à se féminiser, que les femmes ont encore moins accès à l’éducation que les hommes et que d’ailleurs, les actions d’ONG financées à grand frais n’ont que pour effets, de détruire nos tissus socio-culturels en Afrique.

Les femmes de l’opposition sont irritées par ces arguments…féminins. Elles pensent que l’égalité entre l’homme et la femme devrait être une réalité. Pour en convaincre, elles posent un certain de nombre de questions. Des questions qui interpellent le « gouvernement ». « Sommes-nous dans un Etat de droit ? ». Les femmes fustigent la discrimination qui est faite entre homme et femme car, tous les hommes naissent libres et égaux en droit, comme consacré dans plusieurs instruments notamment les constitutions. Elles s’interrogent davantage : « est-ce qu’avant de faire un enfant, décidons-nous du sexe du nouveau-né ? » ou bien « choisissons nous une éducation spéciale pour l’un ou pour l’autre »,  « s’agit-il d’une égalité de droit ou de fait ? ». Cette série de questionnements montre l’angle juridique sous lequel l’égalité entre homme et femme est perçue. Et si aujourd’hui cette égalité n’est pas encore réelle, il faut s’intéresser à ce que le  « gouvernement » fait pour la mise en application des textes. Parce que, s’insurgent les femmes de l’opposition, « les conventions internationales, pourquoi les signer si ce n’est pas pour les mettre en application ? »

Les femmes de l’opposition insistent aussi sur le fait qu’il est scientifiquement prouvé que l’homme et la femme ont les mêmes compétences intellectuelles. Il suffit de constater qu’il existe des femmes qui sont chefs d’entreprises, scientifiques, ministres, ou encore présidentes de la république pour s’en faire une idée. Les exemples sont légion. Mais leurs fonctions ne les empêchent pas d’assumer leurs rôles à la fois de femme au foyer et leurs responsabilités professionnelles. Donc il ne sert à rien de se défausser sur des arguments socio-culturels pour voir la situation ne pas sortir de son ornière.

Cette sixième permanence de la Société d’art oratoire de l’Université Senghor a vu les femmes, uniquement elles-mêmes débattre de l’égalité homme femme. Et visiblement, il y en a qui ne veulent pas de cette égalité.  Personnellement, je pense qu’il faut pouvoir repenser cette question pour voir ce qui est réaliste et comment y arriver.

Que faut-il pour réaliser l’égalité homme femme ?

En Afrique aujourd’hui encore, elles sont des milliers à être battues, violées dans les foyers de conflits, à courber l’échine dans les champs. Au nom de leur faiblesse physique. Mais il faut agir sur des leviers pour changer cette triste réalité.

Dans le roman Sous l’Orage de Seydou Badian, le muezzin s’exclame à propos de l’école : « ma fille a moi ne verra jamais les portes de ce lieu ». Cette manière de penser n’a pas favorisé l’amélioration de la condition de la femme. Parce qu’une femme c’est d’abord une éducation. En réalité c’est la première lacune à combler dans nos sociétés. Envoyer les filles à l’école. Par l’éducation, la femme peut facilement connaître ses droits et s’affranchir des pesanteurs socio-culturelles de nos sociétés traditionnelles. Par exemple, je suis scandalisé quand j’entends une femme dire qu’il faut que son  mari soit à coup sûr polygame…

En plus de l’éducation, la femme doit pouvoir se prendre en charge. C’est en quelque sorte le but visé par les programmes d’octroi de microcrédit aux femmes. Plusieurs pays ont fait l’expérience même si ces programmes sont critiqués pour leur visée politique. L’idée est d’amener la femme à se créer de la richesse par de petites activités génératrices de revenus. L’argument que la pauvreté tend à se féminiser ne trouvera donc plus son sens. D’ailleurs, c’est aussi un levier de lutte contre la pauvreté.

Légiférer sur l’égalité entre l’homme et la femme comme c’est à la mode dans plusieurs pays en Afrique, n’est pas la solution. La solution appartient d’abord aux femmes. Par leur habileté à se positionner politiquement, économiquement et culturellement dans leur pays. La faveur d’une loi est de nature à confirmer l’inégalité si tant décriée. Femmes indignez-vous ! Femmes révoltez-vous !

PS : Dessin de Marine Farguetton


Dame de mon âme

La femme est à l’honneur en ce mois de mars. C’est elle qui donne la vie. C’est elle qui fait la vie. A cette vaillante dame, je rends hommage..

 

Dame qui porte dans ses entrailles,

Le terreau de l’âme, le terreau de la vie,

Le terreau du cœur et du squelette,

Dame qui du fin fond de son ventre,

A entendu les premières cadences de mon cœur,

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Réponse en sourdine ©Bruce Clarke

J’ai tété ses seins. Ses seins sains,

J’ai baisé sa poitrine de mes lèvres innocentes,

J’ai palpé de ma langue,

Puisé dans ma petite bouche ,

Son lait. Le lait de la vie.

Dame, sur toi j’ai reposé mes effrois,

Dans ta voix je me réconforte,

Je t’ai donné des frayeurs,

Dans l’effervescence de mes premiers pas,

Dans l’ignorance de mes déboires,

Et tu as eu des sueurs froides.

Je t’ai fait de belles misères,

Qui ont orné tes nuits d’insomnie.

 

Dame, je vois ce que cachent tes rires,

Devant la barbarie de ton homme, mon père,

Un être pas doux et jaloux, mais que tu aimes tant,

Et ton silence silencieux, te rajeunit, me rassure.

Je vis ta hardiesse dans ce purgatoire,

Ta gentillesse dans cette pénitence.

 

Maintenant, je connais le sens de ton combat,

Le sens de ce combat éternel ici bas.

Quand est venu le moment à mon cœur,

De battre pour toi, il n’a battu qu’une seule fois,

Et depuis, il ne s’est pas arrêté !