Un chrétien à Alexandrie

Article : Un chrétien à Alexandrie
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28 octobre 2013

Un chrétien à Alexandrie

Samedi 26 octobre. Dix-sept heures dans quelques petites minutes. Le soleil qui éblouit depuis cinq heures les rives de la Méditerranée a amorcé son retrait sur Alexandrie. De l’immeuble de la prestigieuse université, j’aperçois la corniche très animée. Je descends rapidement les marches de l’escalier pour me retrouver au bas de l’université. Je marche un peu. Je regarde ma montre, puis je me mets à courir. Je m’arrête en bas d’une grande bâtisse blanche, un immeuble banal à vue d’œil. J’y suis enfin. Je pousse la porte en fer massif, épaisse et lourde qui fait barrière au bruit qui provient du marché qui s’anime à l’extérieur. Je salue le vigile ; il me répond d’un hochement de la tête puis me gratifie d’un sourire. Dix pas de plus et un quart de tour à droite, je suis dans la chapelle. Pour la première fois à Alexandrie, me voici dans une église catholique après avoir longtemps hésité.

Eglise
Crédit photo : Eugène Aballo

Le décor de la nef me rappelle les églises au Bénin. Deux longues rangées de tables et bancs meublent l’intérieur. Une allée me conduit à mon siège. Dans la rangée où je me suis assis, il y avait déjà une quinzaine de personnes, en réalité des amis de l’université. Quelques cinq personnes éparpillées dans l’autre rangée se concentrent, leur liturgie à la main. Mes compères ont déjà commencé à psalmodier quelques cantiques. Plusieurs sons de cloche et le prêtre fait son entrée, accompagné d’un servent de messe. Commence alors la célébration liturgique. Obséquieux, les fidèles écoutent et méditent. Quand arrive le moment de la proclamation de l’Evangile, tous les fidèles se lèvent. Le célébrant salue le peuple en disant les mains jointes : « Le Seigneur soit avec vous ». Puis quand il dit : « Evangile de Jésus-Christ selon Luc 18, 9-14 », les fidèles se signent le front, la bouche et la poitrine. Le prêtre, la cinquantaine passée, présente la parabole du pharisien et du publicain. De l’homélie de l’homme de Dieu, j’ai retenu qu’il ne faut pas juger les uns et les autres malgré leurs différences et  Dieu ne regarde pas l’apparence, comme font les hommes : il sonde les cœurs. La messe a duré quarante-cinq minutes environ. Quelques chants d’un air calme ponctuent la messe, sans bruit rythmé de tambours, ni pas de danses. Le prêtre vénère l’autel par un baiser et, après l’avoir salué par une inclination profonde, il se retire en renvoyant les fidèles dans la paix du Christ.  La Paix ! Un mot qui sonne fort comme une denrée rare pour les chrétiens d’Orient. A la fin, j’ai été surpris. Ce n’est pas les salutations habituelles entre les fidèles, auxquelles je suis habitué. Personne ne traîne sur le parvis de l’église. Chacun prend sa route. J’ai couru à nouveau… le bus m’attendait déjà.

Durant le culte, j’ai eu la boule au ventre. Les images de ces attaques sanglantes d’églises me revenaient et rien ne m’empêchait de balayer de temps en temps d’un regard furtif, l’entrée de la chapelle. Je me rappelle que les récents soulèvements en Egypte, n’ont pas épargné les églises. Les chrétiens non plus. Plusieurs chapelles ont été pillées, détruites à coups de pierres et même brûlées. Des chrétiens notamment des coptes ont été brutalisés, d’autres tués. Et Dieu seul sait qu’il a pu protéger les siens dans cette période. Le nombre d’églises incendiées frôle la quarantaine. Les chrétiens sont déboussolés. Leur péché, à en croire leurs détracteurs, c’est le soutien du pope Tawadros II d’Alexandrie au général Al Sisi. Il y a quelques jours seulement, des hommes armés sont revenus à la charge en ouvrant le feu, faisant trois morts à la sortie de la célébration d’un mariage copte au Caire. Tout comme ces images me reviennent et me hantent, les chrétiens en Egypte sentiront encore longtemps cette peur de l’ennemi qui peut surgir à tout moment, ce sentiment qu’un danger imminent les guette.

Mais visiblement, ils ne semblent pas abandonner leur foi aux aléas de la démocratie ou à l’intolérance de leurs bourreaux. La communauté chrétienne ne désespère pas et chaque fidèle a sa manière de témoigner sa foi. Dans un marché à Alexandrie, j’ai croisé un jeune vendeur avec un tatouage peu ordinaire au bras. La croix du Christ, indélébile qu’il s’est inscrit sur son bras droit, laisse deviner qu’il est chrétien. Déjà, c’est un luxe de rencontrer des gens comme lui, tellement ils sont rares, effacés par le nombre important de musulmans dans ce pays (environ 90 % de la population). Et ce n’est pas pour rien que les vendredis sont fériés et les dimanches, jour de service. D’autres n’hésitent pas à évangéliser dans les rues les gens de couleur, car ils leur paraissent chrétiens.

Des églises, on en trouve qui ont échappé à la razzia soupçonnée d’être du fait des islamistes. S’il y en a qui sont des édifices sans signalétiques ou autres indications, quelques beaux édifices terminés au sommet par une croix existent dans la ville.

Les chrétiens d’Alexandrie tout comme d’autres villes d’Egypte portent aujourd’hui encore la croix de leur infériorité, recroquevillés sur eux-mêmes par la force du feu qui a brûlé et qui plane telle l’épée de Damoclès. Tout ceci est renforcé par le statut apparent de sous-citoyen que les chrétiens ont depuis très longtemps en Egypte.

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Commentaires

pascaline
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Si les derniers évènements ont laissé croire le contraire, il ne faut pas oublier que les coptes d'égypte vivent depuis des années en harmonie avec les musulmans, au travail comme dans leur quartier. La polarisation des idéologies pro ou anti morsi ne doit pas nous faire oublier cela. J'espère que tu auras l'occasion de voir cette cohabitation, et que les tensions finiront, inchallah! Continue de nous faire partager tes découvertes.

Djossè TESSY
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C'est vrai qu'ils collaborent au travail et cohabitent parfaitement dans les quartiers. Mais la question de la religion reste encore sensible...et l'actualité le montre si bien.